►►Les temps sont durs pour Christine Sévillano, une vigneronne française de Champagne, qui s’inquiète de la perte des commandes américaines après l’entrée en vigueur jeudi dernier des droits de douane de 15% imposés à la majorité des produits européens, dont les vins et spiritueux.
BEIJING/PARIS-Les temps sont durs pour Christine Sévillano, une vigneronne française de Champagne, qui s’inquiète de la perte des commandes américaines après l’entrée en vigueur jeudi dernier des droits de douane de 15% imposés à la majorité des produits européens, dont les vins et spiritueux.
« Ça va faire mal, parce que je sens bien que sur certains de mes importateurs, la situation est difficile », déplore-t-elle à l’AFP.
D’après les chiffres du Comité interprofessionnel du vin de Champagne, les Etats-Unis sont en 2024 le premier marché à l’export pour le champagne, tant en volume (10%) qu’en valeur (820 millions d’euros, soit plus de 14% des ventes du secteur).
« L’impact de ce droit sera d’autant plus brutal qu’il va de pair avec le recul du dollar américain aux Etats-Unis », a noté Gabriel Picard, président de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS) dans un communiqué publié le 1er août.
Il a estimé que cet effet combiné pourrait aboutir à une réduction d’un quart de leurs ventes aux Etats-Unis, soit une perte d’un milliard d’euros, et qu’une baisse des exportations aurait par ailleurs des effets sur les 600.000 emplois directs et indirects de la filière des vins et spiritueux.
Le souci des vignerons champenois reflète les percussions des nouveaux droits de douane américains à l’autre côté de l’Atlantique. Selon les observateurs, plusieurs secteurs phares de l’économie française seront particulièrement impactés, tels que l’industrie automobile, le secteur agroalimentaire, l’industrie pharmaceutique ou encore les secteurs du textile, du luxe et des accessoires de mode.
Pour son voisin allemand, l’inquiétude est également ressentie parmi les acteurs économiques. D’après une enquête publiée le 6 août dernier par la Chambre allemande de commerce et d’industrie (DIHK), 74% des entreprises directement engagées sur le marché américain s’attendent à ce que l’accord UE-USA entraîne de nouvelles charges.
L’automobile, secteur mondialisé par excellence, est le premier à vaciller. Depuis avril, une forte hausse des droits de douane américains sur les véhicules fabriqués au sein de l’Union européenne a porté un coup dur à l’industrie automobile du continent. BMW, Mercedes-Benz et Volkswagen, les trois plus grands constructeurs automobiles allemands, ont tous annoncé une forte baisse de leurs bénéfices au premier semestre 2025, invoquant les droits de douane américains comme un frein majeur à leurs résultats.
Hildegard Müller, présidente de l’Association allemande de l’industrie automobile (VDA), a estimé que les taxes continuaient d’imposer aux constructeurs automobiles des coûts supplémentaires de plusieurs milliards d’euros chaque année, ce qui représente une lourde charge alors qu’ils traversent une transition cruciale vers l’électrification.
Par ailleurs, selon Sergi Basco, professeur associé d’économie à l’Université de Barcelone, ces droits de douane risquent de faire baisser les ventes de voitures allemandes aux Etats-Unis et de nuire ainsi à l’industrie automobile espagnole, « car de nombreux véhicules vendus par l’Allemagne utilisent des composants fabriqués en Espagne ».
La Suisse est le seul pays soumis à des droits de douane de 39% par les Etats-Unis, qui ont également été le premier marché pour les principales industries suisses, notamment la chimie et la pharmacie, l’horlogerie et les instruments de précision, en 2024.
Ces surtaxes donnent un coup de massue pour les entreprises suisses. Georges Kern, directeur général de Breitling, le fabricant suisse de montres de luxe, a averti que l’entreprise pourrait être contrainte d’augmenter ses prix « non seulement aux Etats-Unis, mais aussi dans le reste du monde ».
Swissmem, l’association de l’industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux, a averti que si ces droits de douane restaient en vigueur, les exportations suisses de technologies vers les Etats-Unis seraient paralysées et des dizaines de milliers d’emplois dans le pays seraient menacés.
QUI PAIERA LE PRIX ?
« Il n’y a pas de gagnants dans la politique tarifaire américaine », a souligné Helena Melnikov, directrice générale de la DIHK. « Elle nuit aux entreprises et aux consommateurs des deux côtés de l’Atlantique. »
Normalement, le poids de la taxe qui augmente devrait être réparti par toute la chaîne, entre les importateurs et les consommateurs américains, ainsi que les producteurs européens.
« Vingt pour cent des droits de douane devraient être absorbés par celui qui exporte le produit, qui le vendrait donc moins cher. Vingt pour cent seraient absorbés par celui qui l’importe, qui rognerait sur ses marges. Et 60% seraient répercutés sur le consommateur qui achète ce produit », explique Brad Setser, un économiste américain.
David French, vice-président exécutif chargé des relations gouvernementales à la National Retail Federation, le principal lobby du commerce de détail aux Etats-Unis, avait noté dans un communiqué publié le 1er août que ces droits de douane plus élevés représentaient des taxes payées par les importateurs américains et qui seront au final répercutées sur les consommateurs et nuiront aux entreprises.
Utepils Brewing, par exemple, est un brasseur à Minneapolis, dans l’Etat américain du Minnesota, qui se spécialise dans les pilsner, les kölsch et d’autres styles classiques du continent européen. Notant que le houblon américain et le houblon européen ne poussaient pas de la même manière et n’avaient pas le même goût, Dan Justesen, président d’Utepils a confirmé qu’il n’y avait d’autre choix que de supporter le coût des droits de douane. « Les prix augmentent, augmentent et continuent d’augmenter », a-t-il dit.
Pour Maxime Toubart, coprésident du Comité interprofessionnel du vin de Champagne, « l’économie américaine va souffrir ». « Au-delà de nos vins que l’on expédie, c’est aussi, chez eux, des importateurs, des cavistes, des distributeurs qui verront leur activité en baisse. »
Maurice de Mauriac, une entreprise familiale horlogère basée à Zurich, estime également que si elle doit procéder à des augmentations de prix, elle partagera très probablement la charge à parts égales avec ses clients.
« Ce sont les Américains » qui paient les droits de douane, assure Gilles Moëc, économiste en chef du groupe d’assurances Axa. « Pour les jouets et l’équipement de la maison, presque tout est importé, il n’y a quasiment plus d’acteurs américains et il n’y a donc pas vraiment d’alternative pour acheter ces produits à l’intérieur des Etats-Unis. Les Américains subissent les prix des exportateurs. »
« Le problème, c’est que prélever des droits de douane revient à se tirer une balle dans le pied tout en tirant une balle dans le pied d’une autre personne », a écrit Jason Furman, professeur à Harvard et ancien président du Conseil des conseillers économiques de la Maison Blanche, dans une tribune publiée dans le Financial Times.
« Les termes ‘gagnants’, ‘perdants’ et ‘concessions’ sont tous inappropriés lorsqu’il s’agit de politique commerciale. Les Etats-Unis ont désormais augmenté le taux moyen des droits de douane, qui est passé d’environ 3% à environ 20%. Il en résultera que les consommateurs américains bénéficieront moins des importations, tandis que les exportations américaines diminueront également », a-t-il estimé.