►►D’après Vincent Nkong Njock, Directeur Général de iLEMEL SA, la décision de rationaliser ENEO devrait être transformée en opportunité par l’Etat du Cameroun.
Afrique54.net‹ A son sens, le temps n’est plus aux lamentations ni aux critiques à rebours. Le vrai enjeu n’est pas de savoir si la décision de renationaliser ENEO est bonne ou mauvaise. Ce qui importe désormais, c’est ce que le Cameroun fera de cette reprise en main. « Posséder à nouveau ENEO, c’est avoir une clef entre les mains. Mais une clef ne vaut rien si elle ne sert pas à ouvrir les portes du progrès, de la souveraineté énergétique et de la justice sociale », affirme Vincent Nkong Njock.
Pour lui, la renationalisation ne doit pas être une simple opération comptable. Elle doit être le point de départ d’un véritable redressement stratégique, porté par une vision claire, une volonté politique affirmée et des compétences nationales mobilisées. « Si cette reprise est bien conduite, elle peut devenir un levier puissant pour sortir des coupures d’électricité, soutenir notre industrialisation, et rétablir la confiance du peuple envers l’Etat », précise-t-il.
L’édification d’un Cameroun tourné vers l’avenir
Selon l’ancien haut fonctionnaire de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), ce n’est donc pas l’acte qui compte, mais le projet qu’on y associe. « A nous de transformer cet acte en opportunité historique pour bâtir un Cameroun plus autonome, plus équitable, et résolument tourné vers l’avenir », souligne-t-il. L’ex-cadre de l’AIEA est persuadé qu’à la faveur de la renationalisation, le paysage électrique camerounais va ressembler à un puzzle éparpillé d’entreprises étatiques.
Entre ENEO, SONATREL, EDC et AER, chacun gèrera son bout de réseau, ses procédures et son budget. « La renationalisation offre donc une occasion unique de recoller les pièces et d’en finir avec les silos. En réunissant les directions et en rationalisant les dépenses, l’Etat reprend la pleine maîtrise d’infrastructures financées par l’argent du contribuable, trop longtemps captées par des intérêts privés. N’ayons donc pas peur de reconstituer notre grande société nationale d’électricité », déclare-t-il. Nkong Njock conseille de s’inspirer des expériences de KEPCO (Corée du Sud), TNB (Malaisie), DEWA (Dubaï) et Senelec (Sénégal).
Les réformes structurelles sont indispensables
Pour Vincent Nkong Njock, il s’agit de bâtir une architecture solide. L’expert propose une série de mesures. L’Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité (ARSEL) doit être conservée comme régulateur indépendant. L’ARSEL doit mettre sur pied une tarification incitative, progressive et transparente. ENEO doit assurer la production, le transport partiel et la distribution de l’électricité. SONATREL ferait mieux de garantir les missions de transport intégrées ou filialisées et d’étendre le réseau haute tension.
EDC doit assumer les fonctions patrimoniales fusionnées dans l’entité intégrée et gérer les actifs stratégiques (barrages, terres). Le pays doit être découpé en plusieurs zones régionales. Et chaque zone doit recevoir un plan directeur (technologies adaptées, potentiel solaire, hydroélectrique, etc. besoins) et des mini-réseaux indépendants viendront compléter ce maillage national. L’AER « nouvelle formule » ne doit plus ériger les poteaux, mais se consacrer à la sélection des opérateurs, la signature des conventions de concession et le suivi des performances.
Les gains attendus
Si ces mesures sont mises en œuvre, on aura un organigramme rationalisé. Les conflits de compétence disparaîtront. Il n’y aura pas de choc d’efficacité budgétaire. Chaque franc sera traçable. Chaque investissement deviendra productif. Finis les délestages. En somme, il est question de fusionner pour mieux gouverner. C’est la condition sine qua non pour que l’électricité cesse d’être un luxe et devienne enfin le moteur d’un Cameroun prospère, souverain et inclusif. Ainsi le Cameroun pourra parler d’une seule voix, avec une stratégie lisible et ambitieuse. Ce sera un signal fort aux bailleurs et aux investisseurs.
Il faut éviter l’asphyxie financière par un plan de refinancement audacieux Le rachat d’ENEO, c’est d’abord un pari coûteux qui consiste à verser en devises au fonds Actis, 78 milliards FCFA à, alors même que les réserves en dollars du Cameroun s’étiolent et que la balance commerciale vire au rouge. Mais cette somme n’est que la pointe de l’iceberg. La nouvelle entreprise publique hérite surtout d’une dette vertigineuse de plus de 700 milliards FCFA.336 milliards FCFA à régler aux producteurs indépendants et à SONATREL.
La tarification est une bombe à retardement
140 milliards FCFA en prêts bancaires. Le reste, une mosaïque d’arriérés qui s’empilent depuis des années. Sans une restructuration chirurgicale et un plan de refinancement audacieux, cette montagne de créances étouffera la société avant qu’elle n’ait poussé son premier cri. « La tarification électrique camerounaise est une bombe à retardement. Si nous ne changeons rien, elle explosera au visage de nos finances publiques et de notre développement », prévient Vincent Nkong Njock.
En effet, les coûts réels actuels sont alarmants et ont généré en 2023, des subventions de 31,9 milliards FCFA du budget national soit autant d’écoles, de centres de santé et de routes qui n’ont pas vu le jour. Le coût réel de production est estimé à environ 106 FCFA/kWh. Le tarif facturé aux ménages se monte entre 50 et 94,2 FCFA/kWh. La subvention implicite de l’Etat atteint la barre de 56 FCFA/kWh. « Nous demeurons plus coûteux que la Côte d’Ivoire et le Sénégal. C’est inacceptable pour notre compétitivité et le pouvoir d’achat des ménages », s’indigne-t-il.
Les portefeuilles risquent de se vider
D’après le DG de iLEMEL SA, le compte à rebours énergétique est un piège prêt à se refermer. Les contrats « Take or Pay » des nouveaux barrages font déjà bruisser la calculette. Chaque mégawatt facturé renchérit le kWh. « Si nous restons immobiles, l’Etat paiera les impayés privés, la qualité chutera, les délestages s’éterniseront, et la maintenance passera à la trappe. Le cercle vicieux est en embuscade, prêt à dévorer nos finances et notre croissance », fait-il savoir.
Nkong Njock est persuadé que la renationalisation d’ENEO n’est pas une panacée, mais un point de bascule. C’est l’occasion de repenser le secteur électrique du Cameroun, de bâtir un modèle intégré, sobre, et tourné vers l’avenir. « Ce défi n’appelle pas au fatalisme, mais à l’audace. Il peut devenir le socle d’un renouveau énergétique camerounais pour que chaque foyer, chaque village, chaque entreprise ait enfin accès à une électricité fiable, accessible et souveraine », explique-t-il.
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